Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/129

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quitter leur nid hospitalier, je fis sur mon carnet de voyage un croquis d’Ayscha, quoique j’eusse pu me fier à ma mémoire pour me souvenir d’elle ; l’autre sœur, que je voulais aussi dessiner, ne se prêta pas à ce désir, retenue sans doute par quelques-uns de ces scrupules religieux, particuliers aux Orientaux, qui voient des idoles dans toute image.

Dans la rue, je rencontrai un chasseur d’Afrique qui me reconduisit, fort obligeamment, à l’hôtel d’Europe, où l’on était très-inquiet de moi.

Je n’ai pas revu Ayscha ni sa sœur ; — la destinée du voyageur est de quitter toujours ce qui lui plaît et de ne jamais revoir ce qu’il admire. — Mais, l’année dernière, j’ai eu bien tristement de ses nouvelles ; un journal contenait ces lignes :

« Une jeune danseuse de Constantine, Ayscha-ben-Chebarria, a été assassinée par des Kabyles, dont ses bijoux avaient allumé la cupidité et qui s’étaient introduits de nuit chez elle. On a trouvé son corps dans le Rummel, tout sanglant et tout mutilé. Les assassins lui avaient arraché les oreilles et coupé les doigts pour s’épargner la peine d’en extraire les pendeloques et les bagues. On est à la recherche des coupables. »