Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/21

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nullement aux vagues échevelées de la plupart des peintres de marine. Quelles que soient la force du vent et l’agitation du flot, le bord du ciel se termine toujours par un ourlet d’indigo sans la moindre dentelure. — Vous êtes placé beaucoup trop bas pour embrasser un grand espace, et d’ailleurs la déclivité de la mer est telle, qu’on aperçoit les agrès d’un navire deux heures avant que la coque émerge.

Les moutons secouaient leur laine blanche sur la cime des vagues ; le soleil se couchait dans des braises attisées par le vent ; le navire tanguait et roulait. Souvent une de nos roues agitait ses spatules dans le vide. — Quelques flocons d’écume se résolvaient en pluie sur le pont. Craignant d’offrir une libation involontaire aux nymphes de la Méditerranée, nous descendîmes à nos cabines en décrivant les zigzags les plus bizarres, bien que nous n’eussions bu que de l’eau rose à notre dîner, et nous nous insérâmes le plus délicatement possible dans les tiroirs de commode qui devaient nous servir de lits.

Malgré le trantran insupportable de la machine haletante, les gémissements affreux des boiseries en souffrance, et les plaintes inarticulées que rendent tous les objets mal à leur aise dans un navire qui fatigue, nous