Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/22

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ne tardâmes pas à nous endormir, mais d’un sommeil lourd et mêlé de rêves plats comme celui que procure une tragédie.

Le lendemain, la mer était plus calme, quoique la houle expirante soulevât encore de temps à autre le navire pour le laisser retomber avec un mouvement de roue de fortune bien désagréable aux cœurs sensibles.

La journée se passa sans autre incident que l’apparition lointaine d’une voile, le saut de quelque poisson et les plongeons successifs des passagers dans la cabine.

Vers le soir, des brumes grisâtres sortirent du sein des eaux à notre droite : c’étaient Mahon et Palma, que nous rangeâmes sans y aborder. De grands archipels de nuages bizarres et splendides laissaient tomber par leurs déchirures, sur les deux îles, de larges bandes de lumière dorée. À peine pûmes-nous distinguer l’échancrure de la rade, la silhouette de quelque montagne et çà et là des taches blanchâtres aux places des habitations et des villages.

On nous réveilla par une bonne nouvelle, c’est qu’avant midi nous serions en vue des côtes d’Afrique. En effet, vers onze heures, à grand renfort de lorgnettes, nous aperçûmes très-indistinctement sur la ligne extrême de l’horizon, — comme une espèce de banc de