Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/292

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fortes saillies rompent heureusement les lignes droites et accrochent l’œil à propos.

L’abbaye des Tisserands se blasonne d’un griffon ailé, de la tournure la plus fantasque et la plus héraldique. Le More appuyé sur sa targe a une mine truculente digne des héros sarrasins du Tasse et de l’Arioste. Rien n’est amusant comme cette statuaire de l’enseigne, où le sculpteur se laisser aller à tout son caprice.

Il y a dans le goût germanique une certaine furie contournée et ronflante dont les vitraux suisses et les gravures de Goltzius peuvent donner la note, et qui se prête très-bien aux fantaisies de l’ornement. Nous n’en voulons d’autre preuve que les jolies fontaines décorant la grande rue de Berne. Ce sont des colonnes d’ordre rustique, composite, salomonique, ou purement fantasque, à pans coupés, à volutes évidées, à chapiteaux touffus et feuillus, qui portent des statues cambrées sur la hanche, le jarret tendu, la gorge au vent, la mine outrageuse et fière, avec des draperies volantes, des plumes tire-bouchonnées en lambrequin, des épées, des balances, des écus et autres emblèmes dorés du meilleur effet. Ces figures appartiennent à l’allégorie, à la Bible, aux légendes locales.