laire. Quelquefois des rangées de grands arbres se reflétaient si exactement dans le miroir bruni du fleuve, que la vue troublée ne distinguait plus l’image de l’objet. La lune, sur laquelle s’était posé un flocon de nuée pareil à cette chauve-souris qu’Albert Durer fait voler dans le ciel de sa Mélancolie, brillait derrière cette tache sinistre au milieu d’un immense halo, roue d’argent du char de la nuit. Quelques points rouges scintillaient et tremblaient au bout de longues perches courbées au fil de l’eau, où leur réflexion s’allongeait comme des anguilles de feu indiquant les bas-fonds à éviter ; un vent contraire rabattait l’épaisse colonne de fumée du bateau à vapeur, et quelquefois la lune apparaissait à travers les flocons sombres, comme le soleil, aux jours d’éclipse, à travers une vitre noircie.
Tout prenait une apparence effrayante et fantastique. Les autres bateaux filaient près de nous avec des apparences de dragons aux yeux de braise. Comme un navire en détresse, nous tirâmes deux coups de canon. Des lumières se mirent en mouvement au milieu du fleuve, large comme une mer. Un grand obstacle noir que nous distinguions vaguement dans les ténèbres se déplaça pour nous laisser passer : c’était