Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/343

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l’effet du tableau, car le convoi courait toujours à toute vapeur par la plaine sans fin. Des nuages sombres, s’élargissant de minute en minute, commencèrent à tacher le ciel ; on eût dit que l’aquarelliste de l’infini avait trop chargé son pinceau d’encre de Chine, et qu’il essayait d’affaiblir la maculature en la lavant à grande eau. Une pluie cinglante, presque horizontale, tant le vent de la mer courait impétueusement sur cette campagne désolée, rayait en travers, au lieu de les hacher diagonalement de ses milliers de fils, les fonds d’un gris violâtre ; Rembrandt lui-même, voulant rendre un orage, n’eût pas griffé plus furieusement le vernis d’une de ses planches.

La pluie était trop violente pour durer longtemps ; le ciel s’égoutta et s’essuya ; mais la Campine déroulait toujours ses sombres nappes d’ajoncs, de bruyères et de terrains nus. Il faut rendre cette justice aux Hollandais : toutes les fois qu’une pellicule de terre végétale recouvre cette poudre bonne à remplir des sabliers et à fourbir des chaudrons qui forme le fond de la lande, ils essayent d’y faire mordre une végétation quelconque. Dans plusieurs endroits, ils ont planté des pins. Le pin, qui est cependant un arbre vivant de peu, et même de rien, n’a pas trouvé de quoi se nourrir sur ce