Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/364

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fond vert d’un panneau ; — ni de l’Infante de Velasquez, ni de la Suzanne au bain de Rembrandt ; mais il faut à toute force, dût le convoi partir sans nous, rester quelques minutes devant ce tableau de van Meer !

C’est une vue d’une ville de Hollande quelconque : des murs de brique rouge, des arbres, une arche de pont, des toits de maisons que dépasse un clocher ou un beffroi, un canal dont le quai forme le premier plan du tableau. — Vous trouvez cela à Delft, à Dordrecht, à la Haye, en sortant, au détour de la rue. C’est un motif traité mille fois, mais non dans cette manière abrupte, empâtée et puissante. Van Meer n’a pas le léché de l’école hollandaise. Il peint au premier coup avec une force, une justesse et une intimité de ton incroyables. Au bout de quelque temps, quand le regard s’est isolé des autres toiles, sa Vue produit une illusion complète : la peinture a disparu, les bonshommes debout sur le bord du canal prennent un tel relief, qu’on s’étonne de ne pas les voir remuer. L’eau miroite et le ciel brille comme un vrai ciel au-dessus des tuiles brunes et des arbres d’un vert foncé. La magie du diorama est atteinte sans artifice. Quel réaliste que van Meer !

Un coup de coude de notre compagnon nous fit retourner. Comme cela nous est arrivé plusieurs fois dans