Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

landes de piment, des tas de tomates, de pastèques, de concombres, de figues de Barbarie et autres légumes exotiques ; nous avons remarqué d’affreuses petites pommes vertes, importées sans doute des îles Baléares, et dont les naturels semblent plus friands que la chose ne le comporte. Les fruitiers sont ordinairement des nègres, des mulâtres ou des Bédouins tellement cuits par le soleil, qu’on pourrait les prendre pour des gens de couleur. Il ne faut pas être grand capitaliste pour exercer ce commerce : nous avons vu telle boutique dont l’approvisionnement ne valait pas vingt sous ; ce qui n’empêche pas le marchand de rester accroupi tout le jour auprès d’une poignée de pois chiches ou de racines quelconques, comme le dragon à la porte du jardin des Hespérides. — Une pareille impassibilité a de quoi étonner la turbulence française ; mais il n’y a rien d’impossible pour le flegme oriental.

Les étaux des bouchers ont quelque chose de féroce et de sanguinolent qui sent la triperie et l’écorcherie. On ne sait pas là enjoliver, comme à Paris, le cadavre des bêtes égorgées et leur tracer sur la chair, à la pointe du couteau, des scènes pastorales ou l’apothéose de l’empereur Napoléon. Les têtes de mouton à l’œil vitreux et aux narines pleines de caillots pourpres gi-