Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/88

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heureux qui, à Paris, font voir des hiboux ou chantent des romances, le soir, aux boulevards ou aux Champs-Élysées.

Cette illumination à ras de terre faisait un effet singulier et donnait aux feuillages, éclairés en dessous, un air de décoration de théâtre auquel le costume des acteurs, costume qui semble, pour des yeux européens, emprunté au vestiaire de l’Opéra, prêtait encore plus de vraisemblance.

À voir cette multitude de points lumineux, un poëte arabe eût dit que les étoiles du ciel étaient descendues pour boire la rosée dans l’herbe ou qu’une péri avait secoué là les paillettes d’or de son voile. Le fait est que les épiciers d’Alger avaient dû faire une belle vente.

J’avoue à ma honte qu’une contemplation d’une heure ne m’a pas fait découvrir en quoi consistait le divertissement des Beni-Khelil. Quelques-uns mangeaient du couscoussou, buvaient du café ou fumaient ; mais le plus grand nombre ne prenait rien et restait immobile dans un profond silence, les yeux fixés sur les bougies.

Le plaisir de ces Bédouins naïfs, sans doute, était de voir brûler des bougies de l’Étoile : ce phénomène, moins neuf pour moi, m’intéressait médiocrement, et je regardais ces belles têtes, ces nobles poses, ces grands