Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/89

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jets de draperies qui n’existent chez nous que dans les mirages de l’art. Pour un œil habitué aux laideurs de la civilisation, c’est un spectacle toujours attrayant que de voir des statues vivantes qui se promènent sans socle, et l’on conçoit, à l’aspect de ces superbes modèles, comment les Grecs étaient arrivés à ce type suprême qui nous semble l’idéal et n’est, en effet, que la reproduction exacte d’une heureuse nature.

Sur un signe du caïd, des esclaves placèrent devant nous, au bord du tapis, des jattes de bois pleines de couscoussou, de morceaux de mouton, de volaille, de lait caillé et de tranches de pastèque, régal homérique auquel nous fîmes honneur de notre mieux. On servit ensuite le café, et l’on alluma nos pipes.

Pendant que nous expirions lentement la fumée qui montait sous le dôme du feuillage en flocons bleuâtres, deux musiciens vinrent se planter devant nous. La beauté de leurs formes, la pureté antique des plis de leurs draperies les faisaient ressembler plutôt à des produits du ciseau grec qu’à de vulgaires ménétriers : ce bas-relief nous donnait une sérénade.

L’instrument dont ils se servaient était une espèce de hautbois ou de flûte, avec une anche plate et cerclée d’une rondelle de bois où s’appuyaient les lèvres des