Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/103

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— Je suis perdue ! pensait-elle. C’est fini ! je ne peux pas être sa femme et je ne veux pas lui dire qui je suis. Que vais-je devenir ? Sans lui, rien ; il n’y a plus rien ; le monde devient noir. Les jours passeraient longtemps, longtemps, toujours plus lourds, plus douloureux ; c’est impossible. J’aime mieux qu’on me tue. Je ne peux pas souffrir ainsi, je n’ai jamais souffert, je ne sais pas. Je pleure, et les larmes ne me soulagent pas. J’étouffe ; il me semble que mon cœur emplit toute ma poitrine. — Ah ! il faut que j’entre, il faut qu’il me console ; sur sa poitrine loyale, je serai à l’abri, je ne souffrirai plus. Je suis à bout de forces. Personne ne m’assiste, personne ne me conseille… Personne ! personne ! répéta-t-elle tout haut.

L’éclat de sa voix lui fit peur. Il lui sembla qu’il avait éveillé un léger bruit. Elle se releva vivement et prêta l’oreille.

Elle entendit le frottement d’une allumette contre une boiserie, puis un pétillement. Bientôt une porte s’ouvrit, et Jenny parut une lumière à la main.

— Comment ! c’est toi Qu’est-ce que tu fais là ?’dit-elle ; il me semblait bien avoir entendu ta voix. Est-ce que tu es malade ? Tu es toute pâle, tu as l’air d’un fantôme.

— Ah ! merci, merci ! Tu me sauves ! s’écria Lucienne en se jetant dans les bras de Jenny.

Elle l’embrassa si violemment que la jeune fille eut peur.

— Est ce qu’elle serait somnambule ? se dit-elle !