Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/139

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Ludenne leva sur Adrien des yeux humides et reprit d’une voix suppliante :

— Adrien, ne m’enlevez pas mon peu de courage, soutenez-moi plutôt dans l’accomplissement de mon devoir. Si vous saviez comme mon cœur est lâche ! Depuis plusieurs jours je lutte contre moi-même ; l’idée de me parjurer, de ne rien dire, d’être heureuse sans subir l’épreuve prescrite par ma mère s’était glissée dans mon esprit ; mais le remords me torturait, j’avais des craintes superstitieuses ; la nuit, d’affreux cauchemars traversaient mon sommeil. J’ai bien vu que je ne pouvais pas échapper au serment et que mon bonheur serait compromis si je ne m’y soumettais pas. C’est alors que la pensée de me séparer de vous m’a plongée dans ce désespoir, dont je vous ai donné hier le triste spectacle.

— Non, non ! tu ne me quitteras pas, tu ne m’infligeras pas ce long supplice ! dit Adrien en s’agenouillant devant elle et en l’enveloppant de ses bras. Il est impossible que tu prennes au sérieux cette romanesque obligation. Tu ne doutes pas de mon amour. Je ne doute pas du tien. Alors à quoi bon l’épreuve ? pourquoi sacrifier follement les plus belles années de notre jeunesse ?

— Comment ! dit Lucienne en lui caressant les cheveux, vous si énergique, si maître de vous, votre courage faiblit ainsi. Il y a quelques jours, vous disiez que vous m’attendriez dix ans, s’il le fallait.

— Oui, en te voyant souvent, très-souvent, en recevant chaque jour une lettre de toi ; mais pas