Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/335

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tant regardée. Ah çà ! il s’imagine peut-être, cet homme, que je suis partie le cœur brisé, inconsolable ; cela le flatterait, sans doute, d’apprendre que je suis morte de désespoir. Je ne lui donnerai pas ce plaisir. On va voir comment je me console.

Elle reprit sa course vers la gare ; mais il fallait attendre deux heures le départ pour Paris. Alors elle redescendit vers la ville et entra chez un coiffeur.

— Faites-moi une coiffure étonnante, dit-elle en se laissant tomber sur une chaise et en arrachant son chapeau.

Le garçon coiffeur lui défit ses nattes.

— Quels beaux cheveux ! dit-il galamment.

— Ils sont affreux ! dit Lucienne ; aussitôt à Paris, je les ferai teindre en jaune.

— Ce sera dommage.

Par instant, des secousses nerveuses agitaient la jeune fille. Sans s’en douter, elle pensait tout haut.

— L’indignation a tué la douleur, disait-elle ; je n’ai pas même versé une larme.

— Est-ce possible qu’on ose causer du chagrin à une aussi jolie personne ? dit le coiffeur.

— Tu ne peux comprendre, dit-elle ; c’est un riche mariage que je voulais faire, et qui a manqué.

Le coiffeur se mit à rire.

— C’est drôle ; n’est-ce pas ? dit Lucienne.

Lorsqu’elle fut coiffée, elle paya avec l’argent que lui avait donné Adrien.