Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’exposer sans raison, dit M. Provot. Si c’était pour sauver quelqu’un, pour rendre service à la patrie, ou seulement à la science, d’accord ; je serais le premier à dire : En avant ! Mais risquer de se noyer sans aucun motif, par fanfaronnade, non, je n’en suis plus ; moquez-vous de moi si vous voulez, je ne me baigne pas, je vais lire mon journal. Dame, mon cher, je ne suis pas un fort nageur comme vous.

— Allons, dit Lucienne, il n’y a que M. Adrien et moi qui ayons l’audace d’affronter la fureur des flots.

— Faites bien attention, au moins, dit madame Després.

— Sois tranquille, dit Adrien ; d’ailleurs la mer est à peine houleuse.

— Peut-on dire ça ! s’écria Jenny en frappant ses mains l’une contre l’autre, les vagues tombent comme des cataractes.

Lucienne et Adrien s’éloignèrent en riant et en se moquant de la peur de Jenny. Mais cette peur même venait de faire naître une singulière idée dans l’esprit de Lucienne.

— Je vais faire comme si je me noyais, se disait-elle. Il me sauvera ! Et je saurai bien lire sur son visage si je lui suis vraiment tout à fait indifférente.

Le jeune homme, prêt avant elle, était déjà dans l’eau lorsqu’elle sortit de sa cabine ; il semblait bondir de vague en vague, et il filait avec rapidité vers le large.

— Quelle force ! quelle audace ! se disait Lucienne