Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/95

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me parlait gravement, comme à celle qu’on veut aimer et respecter toujours.

Soudain, elle devint toute pâle.

— Du respect ! à moi ! … Mais c’est de la démence ! Et je l’ai laissé parler, et je n’ai pas arrêté sur ses lèvres ces mots qui n’étaient pas faits pour moi ! Oh ! j’ai joué une infâme comédie. Ce n’est pas à moi qu’il donnait son amour, c’est à une chaste jeune fille qu’il pourrait épouser. Cet amour, que j’ai dérobé un instant, il me faudra le rendre.

Elle éclata en sanglots.

— Mon Dieu ! mon Dieu qu’est-ce que je vais devenir ? Je l’aime tant.

Bientôt elle se redressa.

— Mais, puisqu’il ne sait rien, à quoi bon me désoler ? Si je deviens ce que je parais être, je serai bien la femme qu’il aime. Ma vie passée sera effacée ; pour lui elle n’aura jamais existé. Je n’ai pas le droit de m’éloigner de lui, puisqu’il m’aime. Il serait malheureux sans moi. Je ne peux pas le rendre malheureux. Oh ! comme je vais l’aimer ! je lui ferai une vie de paradis.

Elle frappa de la main un coup violent sur la table.

— Oui ! je défie qui que ce soit de l’aimer autant que je l’aimerai ! Je ne suis pas une petite fille ignorante et timide. Sans avoir jamais éprouvé de tendresse, j’ai vu palpiter l’amour auprès de moi. Cette passion, je saurai la nourrir, la vivifier ; et jamais la flamme ne s’éteindra sur l’autel. Oui, je n’existe que