Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/101

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Nous nous arrêtions devant le temple de Vichnou, qui se découpait comme une grande ruche de pierre sur le ciel bleu. Aussitôt nous étions entourés par tout un monde de bambins à moitié vêtus, courant nu-pieds dans la poussière, riant, criant, faisant un bruit aigu, joyeux et assourdissant.

La princesse se penchait un peu et, tendant ses petites mains, imposait silence à ses sujets. Ils se taisaient tout de suite et se rangeaient en cercle.

— Qui est-ce qui a été sage ? demandait-elle d’un air très majestueux.

— Moi ! moi ! répondait invariablement et d’une seule voix toute l’assemblée.

— Si vous mentez, Brahma le saura et Allah aussi, et vous serez fouettés.

— Non ! non ! très sages ! criait-on de toutes parts.

— Alors, allons au bazar !

Les cris reprenaient de plus belle et, comme une nuée de sauterelles, toute cette marmaille, tandis que je me remettais en marche, sautait, cabriolait dans la poussière soulevée ; quelques gamins même s’oubliaient jusqu’à faire la roue, exercice qui, je dois l’avouer, émerveillait la princesse.

Une bourse pleine de roupies était accrochée à une de mes défenses et nous achetions au bazar toutes sortes d’objets et de friandises.

Chaque enfant, après avoir mûrement réfléchi, un doigt dans la bouche le plus souvent, disait ce qu’il voulait : des mangues, des bananes, des oranges, un sorbet, des pâtes confites, ou bien un collier en graines de vamba, rouges comme du corail, des bracelets de terre émaillée, un parasol, des babouches ; quelques-uns demandaient un pagne ou un voile de mousseline. Je n’étais pas oublié, moi, non plus. Je devais aussi choisir ce qui me plaisait, et invariablement je m’arrêtais à la devanture d’un pâtissier, où ma gourmandise