Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/106

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s’approcha et affligée de la douleur de la grue, elle lui dit avec respect :

— Mon amie, pourquoi aujourd’hui ne t’occupes-tu pas à chercher ta nourriture, et ne fais-tu que pousser des soupirs pleins de larmes ?

— Mon enfant, répondit la grue, ce que tu as remarqué est la vérité. Je me nourris de poissons ; mais voici : j’ai renoncé à tout désir, et maintenant je me laisse mourir de faim. Ainsi, même lorsqu’ils viennent tout auprès de moi, je ne mange plus les poissons.

Lorsque l’écrevisse eut entendu cela, elle dit :

— Mon amie, quel est le motif de cette renonciation à tout désir ?

— Mon enfant, répondit la grue, je suis née et j’ai grandi au bord de cet étang. J’ai appris qu’une calamité le menace, une absence de pluie de douze années est sur le point d’avoir lieu.

— De qui as-tu appris cela ? dit l’écrevisse.

— D’un illustre astrologue, répondit la grue. Hélas ! cet étang a très peu d’eau et il sera vite à sec. Quand il sera desséché, ceux avec qui j’ai grandi et toujours joué périront tous par le manque d’eau, je n’ai pas le courage de voir ce malheur. C’est pourquoi je jeûne ainsi jusqu’à ce que mort s’en suive, et je pleure à l’idée que pas un de vous n’échappera.

Quand l’écrevisse eut entendu cela, elle rapporta aux autres animaux aquatiques ces paroles de la grue, et ceux-ci, poissons, tortues