Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/105

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— Emmène-moi ! Sauvons-nous dans la forêt, bien loin des méchants brahmanes !

Mais le brahmane en chef, dans sa robe blanche, apparaissait, cachant un bon sourire sous un air courroucé, et il me reprenait l’espiègle.

Elle avait obtenu pourtant la permission d’apprendre ses leçons dans la corbeille pendue à mon cou, tandis que je marchais lentement sous les arbres, à travers le parc.

Je me souviens surtout d’une fable qui nous donna bien de la peine à apprendre, tant les oiseaux et les papillons nous fournirent de distractions pendant ces heures d’étude-là. Nous en vînmes à bout cependant et, si j’avais pu parler, j’aurais été capable de souffler à ma petite princesse, quand elle se trompait en la récitant. Elle était jolie, cette fable, et démontrait qu’on ne saurait être trop méfiant dans la vie. Aujourd’hui encore, je me la rappelle et puisque je la sais, je peux me donner le plaisir de la transcrire d’un bout à l’autre sans craindre de commettre d’erreur. Elle était intitulée :


La Grue et l’Écrevisse


Dans une belle forêt, il y avait un grand étang peuplé de toutes sortes de poissons ; sur ses rives, une grue avait sa demeure. Cette grue étant devenue vieille, elle ne pouvait plus tuer les poissons pour les manger. Donc, le gosier serré par la faim, elle s’avança au bord de l’étang et pleura ; elle fit ruisseler sur le sol des larmes pareilles à d’innombrables perles.

Se tenant sur une patte, qui semblait une tige, le cou penché, la coquine de grue trompait les sots poissons qui la prenaient pour un lotus.

Or, une écrevisse, accompagnée de divers animaux aquatiques,