Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/118

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Je crois qu’elle ne le comprenait pas très bien, mais elle l’aimait à cause de cela.

De temps en temps, je relevais jusqu’à elle le bout de ma trompe et elle me donnait une poignée de main, en riant. Elle était très joyeuse de ce voyage, car c’était bien le premier qu’elle faisait. Certes on lui avait parlé de cette partie de la forêt pleine de fleurs rouges, mais elle savait qu’on ne l’y mènerait pas, de peur qu’un gros fruit, tombé d’un arbre, ne blessât ses membres délicats, ou qu’un serpent dangereux ne s’élançât sur elle.

Plus on le lui défendait, plus elle désirait aller là, sans doute, car elle n’aimait pas qu’il y eût pour elle des obstacles et des interdictions. Aussi, avec quelle joie avait-elle laissé son bon ami Iravata la conduire au bois défendu !

Au bout de deux heures, nous fûmes en pleine forêt sauvage. Les arbres, au-dessus de nos têtes, avaient une hauteur prodigieuse et leurs cimes étaient si épaisses que le soleil ne les traversait pas. Les plantes ne poussaient pas à leurs pieds : il n’y avait pas de buissons, pas de lianes, rien qu’une innombrable quantité de troncs maigres et sans branches, comme si nous avions pénétré dans la colonnade d’un temple immense. Parvati avait un peu peur maintenant de cette grande solitude et de ce profond silence. Elle avait cessé de chanter et, quand elle me parlait, sa voix était toute triste.

Je me mis alors à courir dans une autre direction ; je me rappelais qu’à une petite distance de là, le terrain montait en pente douce jusqu’à une colline peu élevée qui était célèbre par sa beauté ; ce fut de ce côté que je me dirigeai et j’y parvins en quelques minutes. Un vent parfumé apportait de là le bruit des oiseaux dans les feuilles : Parvati recommença à chanter.

Cette nouvelle forêt était merveilleuse. Il y avait tant de fleurs sur la terre, que j’eus bientôt les pieds tout rouges de les avoir écrasées, comme si j’avais marché dans le sang. Les arbres avaient