Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/134

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pareille science fût possédée par quelqu’un qui n’a pas étudié les textes saints ? Très certainement, cette histoire a été arrangée d’avance entre ce Hariçarman et les voleurs. Pour que je sois convaincu de la science de ce prétendu devin, il faudra le mettre encore une fois à l’épreuve.

Le roi s’entretint durant quelques instants

…si tu devines ce que ren­ferme ce pot, tu jouiras de tous les honneurs.
à voix basse avec son conseiller. Celui-ci sortit et revint bientôt, portant entre ses mains un pot tout neuf, fermé d’un couvercle, dans lequel on avait introduit un crapaud.

Le roi s’adressant à Hariçarman, lui dit :

— Si tu devines ce que ren­ ferme ce pot, tu jouiras de tous les honneurs, sinon tu seras mis à mort pour avoir osé me tromper.

Hariçarman se crut perdu. Des souvenirs, vifs comme les éclairs, traversaient son esprit. Il pensa à sa joyeuse jeunesse ; il se rappela que son père l’avait désigné autrefois par un sobriquet, « le crapaud », et, machinalement, il dit en se parlant à lui-même, mais assez distinctement pour être entendu :

— Ce pot est ta prison, mon petit crapaud, grâce à lui tu es bien inquiet, tandis qu’autrefois tu étais au moins libre !

Tous ceux qui l’entouraient pensèrent naturellement que ces paroles s’adressaient au crapaud enfermé dans le pot. L’épreuve parut concluante. À partir de ce jour, le roi fêta Hariçarman, le combla de biens, et, depuis, il occupa le rang d’un prince.