Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/149

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et de turquoises, une couronne de plumes, et un houdah en filigrane d’or dans lequel devaient s’asseoir les fiancés le jour de la cérémonie, car c’était à moi que l’on réservait l’honneur de les porter, dans la marche triomphale qu’ils devaient faire à travers Golconde.

Mais, à mesure qu’approchait le jour du mariage, mon désir de tuer le prince grandissait, et je pris soudain, pour éviter de commettre un crime, une détermination bien douloureuse.

Je résolus de quitter le palais, de m’enfuir.

Quitter Parvati ! quitter le prince et Saphir-du-Ciel ! Ces êtres qui m’avaient fait une vie si douce, si libre et si heureuse ! m’en aller au hasard des aventures, redevenir sauvage peut-être ! Comment pourrais-je supporter un tel chagrin, un tel malheur !

Il fallait me sacrifier, cependant, pour éviter d’attirer de terribles catastrophes sur ceux qui m’avaient traité comme un ami. Baladji-Rao assassiné à Golconde, c’était la guerre rallumée, d’épouvantables représailles, la ruine de mes bienfaiteurs ; et j’avais beau essayer de me dompter, de me résigner à accepter ce que je ne pouvais éviter, la vue du prince de Mysore, aussi loin qu’il fût de moi, faisait monter dans mon cerveau une bouffée de colère, qui m’ôtait la raison et me poussait invinciblement au meurtre.

Partir ! il fallait partir ! donner à ma chère Parvati cette dernière preuve de dévouement.

La nuit qui précéda le jour des noces, au moment où la lune se couchait, j’ouvris sans bruit le grand portail de mon étable, et je sortis à pas légers.

Un instant j’eus l’idée d’aller pour la dernière fois devant la chambre de ma princesse, de cueillir des lotus et de les accrocher à son balcon, comme je le faisais souvent, c’eût, été là au moins un adieu, et elle l’eût compris. Mais j’avais le cœur serré, les yeux troubles ; je craignis d’être faible, de ne plus vouloir partir après m’être rapproché d’elle ; et, rapidement, je traversai la cour, j’enlevai la barre et les