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Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/175

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est le métier de celui-ci. Il montre, en somme, des animaux savants, et ses compagnons font des tours de force et d’adresse. Maintenant donc, ô mon ami, au lieu de te fatiguer en de durs travaux, tu vas, par ton habileté, divertir les curieux. Et nous ne manquerons plus de rien.

Je dois l’avouer, je ne me sentais pas aussi heureux que mon maître. Autant j’aurais eu plaisir à amuser des êtres chers comme Saphir-du-Ciel et Parvati, autant je me sentais peu porté à réjouir des indifférents. Ma vie présente était, certes, bien dure : mais, du moins, je pouvais être triste ; tandis qu’à l’avenir, je le comprenais, il me faudrait paraître gai à des heures marquées d’avance, et même si, alors, les plus amères pensées me torturaient.

Pourtant, je ne voulus pas troubler le bonheur de Moukounji, et je répondis à sa joie par des signes amicaux. Bientôt nous quittâmes le port et nous allâmes rejoindre M. John Harlwick.

Et c’est ainsi que j’entrai dans la troupe de M. John Harlwick, directeur du Grand Cirque des Deux Mondes.

Le soir même, M. John Harlwick nous présenta à sa troupe. Il avait loué un terrain vague, où il avait dressé son cirque ; c’était une grande bâtisse en bois et en fer, qu’on pouvait monter et démonter très rapidement et qui, construite, était d’aspect élégant et confortable ; on n’eût jamais dit que quelques heures suffiraient pour en désajuster tous les morceaux et les charger sur des chariots. Elle se composait de deux parties contiguës : le cirque proprement dit — la piste et les gradins pour les spectateurs — et les écuries, avec quelques chambres où étaient logés les palefreniers et les personnages secondaires de la troupe : les personnages importants logeaient à l’hôtel, comme le directeur.

Quand nous fûmes arrivés au cirque, M. Harlwick désigna d’abord la place que j’occuperais à l’écurie et la chambre que Moukounji, qui ne voulait abandonner à personne la tâche de me soigner, parta-