Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/176

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gerait avec un des palefreniers. Puis nous entrâmes sur la piste, où la troupe était réunie. C’étaient bien les mêmes gens que j’avais vus débarquer trois jours auparavant. Le directeur parla ainsi :

— Messieurs et mesdames, je vous présente M. Moukounji, le propriétaire de cet éléphant ; l’éléphant est, m’a dit mon spirituel ami, M. Oldham, une bête remarquable, à qui il a vu exécuter un tour difficile et intéressant, sans que personne l’ait dressé ; c’est un sujet qui fera honneur à notre troupe, déjà si bien composée. Accueillez donc avec amitié l’éléphant et le maître.

Très correctement, les membres de la troupe vinrent, chacun à son tour, saluer Moukounji, et me caresser ; et, au fur et à mesure, M. Harlwick, s’adressant à Moukounji, les nommait par leur nom et indiquait leur emploi.

— M. Oldham, monsieur, notre premier clown et régisseur, que vous connaissez déjà ; M. Edward Greathorse, notre premier écuyer, et mistress Greathorse, une des plus distinguées équilibristes qui soient, et leurs deux enfants, le jeune M. William Greathorse, qui n’a pas son pareil pour crever un cerceau en papier et retomber d’aplomb sur un cheval ; et la charmante miss Annie Greathorse, qu’a séduite l’étude du trapèze, et qui connaît déjà tous les secrets de cet art difficile.

M. et Mme Greathorse ne me plurent qu’à demi. M. Greathorse était un homme très grand, très sec, qui semblait âgé d’une quarantaine d’années ; on sentait, à le voir, qu’il était habitué à parler à des chevaux, et à leur parler rudement. Mme Greathorse avait à peu près le même âge que son mari et était aussi grande que lui ; mais, autant il était maigre, autant elle était grosse ; son visage, vulgaire, avait un air de dureté, et son nez était singulièrement aplati. J’en compris, plus tard, la raison : l’exercice favori de Mme Greathorse était de tenir, en équilibre sur son nez, un bâton avec, au bout, une grosse boule de fer.