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Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/192

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C’était après cela que je faisais cinq fois le tour du cirque en bicyclette, une bicyclette énorme construite à ma taille (on s’imagine avec quelle peine un éléphant peut se tenir sur un pareil instrument). Je faisais mouvoir les pédales avec mes pieds de devant et le guidon avec ma trompe. Je devais ensuite me tenir debout et danser une polka. Enfin, pour terminer mes exercices, je jouais une autre scène, — comique celle-là, — et qu’avait composée M. Oldham :

Au milieu du cirque, on m’apportait une table, avec une chaise à ma taille et, auprès, entre deux poteaux, une cloche à laquelle pendait une corde. J’entrais, je m’asseyais sur la chaise, et, de ma trompe, je tirais la corde de la cloche. M. Oldham, vêtu en garçon de restaurant, accourait, et je lui faisais comprendre que je voulais dîner.

— On vous sert, monsieur Éléphant, disait-il.

Il sortait. D’un sac qu’on m’avait attaché aux reins, je tirais, toujours avec ma trompe, une paire d’énormes lunettes, je les assurais devant mes yeux ; puis je prenais un journal, et faisais comme si je lisais — alors, je ne savais pas encore vraiment lire. — Peu à peu, M. Oldham ne revenant pas, je simulais l’impatience ; de nouveau je sonnais, et M. Oldham accourait :

— On vous sert, monsieur Éléphant.

Il disparaissait. Deux fois encore je sonnais, et deux fois M. Oldham me criait :

— On vous sert, monsieur Éléphant.

Sans jamais rien m’apporter.

La troisième fois enfin, il me servait un plat : c’étaient quelques pains et je les avais rapidement engloutis. Je sonnais. M. Oldham venait, et je lui marquais que je voulais un second plat. Au bout d’un long temps, il m’apportait des légumes qui étaient aussi vite mangés que les pains. Je demandais un troisième plat, et cette fois, j’avais des fruits, des gâteaux et une bouteille de champagne dont je faisais bruyamment sauter le bouchon.