Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/63

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des monticules sombres, qui ondulaient à perte de vue. Aucun bruit, sauf le cri intermittent de lointaines sentinelles qu’on ne voyait pas. Devant la tente où mon maître était enchaîné, deux soldats en tuniques blanches, le fusil à l’épaule, marchaient lentement. Je distinguais parfaitement leurs longues robes claires et leur turban de mousseline. Par moments, le canon de leur fusil brillait, reflétant une étoile.

Tuer ces deux hommes, délivrer mon maître, fuir avec lui, est-ce que cela était possible ?

Les sentinelles se promenaient lentement autour de la tente du prisonnier, marchant en sens inverse l’une de l’autre, de façon qu’elles voyaient à la fois de tous les côtés.

Comment les atteindre, sans qu’elles puissent donner l’éveil ?

Immobile dans la nuit, je les suivais de l’œil, cherchant à bien comprendre leurs mouvements, les positions diverses qu’elles occupaient dans leur va-et-vient. Je remarquai qu’au moment où l’un des soldats rencontrait et croisait mon compagnon, il me tournait le dos, puis disparaissait derrière la tente et, qu’aussitôt, l’autre soldat, décrivant le cercle, me présentait aussi le dos. Un instant très court s’écoulait avant que le premier, me faisant face alors, reparût.

Je ne pouvais atteindre les geôliers tous les deux d’un seul coup, et si l’un me voyait attaquer l’autre, il avait le temps de donner l’alarme et d’éveiller tout le camp. C’était donc pendant cet instant si bref qu’il fallait agir.

Une vingtaine de pas me séparaient de la tente et cela augmentait la difficulté de l’entreprise en raccourcissant encore l’instant où j’étais invisible ; il fallait la tenter cependant.

J’essayai de défaire l’entrave de mon pied. Je ne pus y réussir ; mais, d’une secousse, j’arrachai le pieu qui me retenait. J’étais libre.

Choisissant le moment favorable, je fis quelques pas vers la tente ; puis j’attendis un autre tour des soldats pour en faire encore quel-