Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

gale ; je donnerais cinquante âmes pour un pied mignon, et toute la poésie et tous les poëtes pour la main de Jeanne d’Aragon ou le front de la vierge de Foligno. — J’adore sur toutes choses la beauté de la forme ; — la beauté pour moi, c’est la Divinité visible, c’est le bonheur palpable, c’est le ciel descendu sur la terre. — Il y a certaines ondulations de contours, certaines finesses de lèvres, certaines coupes de paupières, certaines inclinaisons de tête, certains allongements d’ovales qui me ravissent au delà de toute expression et m’attachent pendant des heures entières.

La beauté, seule chose qu’on ne puisse acquérir, inaccessible à tout jamais à ceux qui ne l’ont pas d’abord ; fleur éphémère et fragile qui croît sans être semée, pur don du ciel ! — ô beauté ! le plus radieux diadème dont le hasard puisse couronner un front, — tu es admirable et précieuse comme tout ce qui est hors de la portée de l’homme, comme l’azur du firmament, comme l’or de l’étoile, comme le parfum du lis séraphique ! — On peut changer son escabeau pour un trône ; on peut conquérir le monde, beaucoup l’ont fait ; mais qui pourrait ne pas s’agenouiller devant toi, pure personnification de la pensée de Dieu ?

Je ne demande que la beauté, il est vrai ; mais il me la faut si parfaite que je ne la rencontrerai probablement jamais. J’ai bien vu çà et là, dans quelques femmes, des portions admirables médiocrement accompagnées, et je les ai aimées pour ce qu’elles avaient de choisi, en faisant abstraction du reste ; c’est toutefois un travail assez pénible et une opération douloureuse que de supprimer ainsi la moitié de sa maîtresse, et de faire l’amputation mentale de ce qu’elle a de laid ou de commun, en circonscrivant ses yeux sur ce qu’elle peut avoir de bien. — La beauté, c’est l’harmonie, et une personne