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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

également laide partout est souvent moins désagréable à regarder qu’une femme inégalement belle. Rien ne me fait peine à voir comme un chef-d’œuvre inachevé et comme une beauté à qui il manque quelque chose ; — une tache d’huile choque moins sur une bure grossière que sur une riche étoffe.

Rosette n’est point mal ; elle peut passer pour belle, mais elle est loin de réaliser ce que je rêve ; c’est une statue dont plusieurs morceaux sont amenés à point. Les autres ne sont pas si nettement dégagés du bloc ; il y a des endroits accusés avec beaucoup de finesse et de charme, et quelques-uns d’une manière plus lâche et plus négligée. — Aux yeux vulgaires, la statue paraît entièrement finie et d’une beauté complète ; mais un observateur plus attentif y découvre bientôt des places où le travail n’est pas assez serré, et des contours qui, pour atteindre à la pureté qui leur est propre, ont besoin que l’ongle de l’ouvrier y passe et y repasse encore bien des fois ; — c’est à l’amour à polir ce marbre et à l’achever, c’est dire assez que ce ne sera pas moi qui le finirai.

Au reste, je ne circonscris point la beauté dans telle ou telle sinuosité de lignes. — L’air, le geste, la démarche, le souffle, la couleur, le son, le parfum, tout ce qui est la vie entre pour moi dans la composition de la beauté ; tout ce qui embaume, chante ou rayonne y revient de droit. — J’aime les riches brocarts, les splendides étoffes avec leurs plis amples et puissants ; j’aime les larges fleurs et les cassolettes, la transparence des eaux vives et l’éclat miroitant des belles armes, les chevaux de race et ces grands chiens blancs comme on en voit dans les tableaux de Paul Véronèse. — Je suis un vrai païen de ce côté, et je n’adore point les dieux qui sont mal faits : — quoiqu’au fond je ne sois pas précisé-