Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
167
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Théodore.

Il vous aime fort sans doute ?

Rosette.

Je ne sais trop. — Il y a des moments où l’on croirait qu’il m’aime beaucoup ; mais au fond il ne m’aime pas, et il n’est pas loin de me haïr, car il m’en veut de ce qu’il ne peut m’aimer. — Il a fait comme plusieurs autres plus expérimentés que lui ; il a pris un goût vif pour de la passion, et s’est trouvé tout surpris et tout désappointé quand son désir a été assouvi. — C’est une erreur que, parce que l’on a couché ensemble, on se doit réciproquement adorer.

Théodore.

Et que comptez-vous faire de ce susdit amoureux qui ne l’est pas ?

Rosette.

Ce qu’on fait des anciens quartiers de lune ou des modes de l’an passé. — Il n’est pas assez fort pour me quitter le premier, et, quoiqu’il ne m’aime pas dans le sens véritable du mot, il tient à moi par une habitude de plaisir, et ce sont celles-là qui sont les plus difficiles à rompre. — Si je ne l’aide pas, il est capable de s’ennuyer consciencieusement avec moi jusqu’au jour du jugement dernier, et même au delà ; car il a en lui le germe de toutes les nobles qualités ; et les fleurs de son âme ne demandent qu’à s’épanouir au soleil de l’éternel amour. — Réellement, je suis fâchée de n’avoir pas été le rayon pour lui. — De tous mes amants que je n’ai pas aimés, c’est celui que j’aime le plus ; — et, si je n’étais aussi bonne que je le suis, je ne lui rendrais pas sa liberté, et je le garderais encore. — C’est ce que je ne ferai pas ; — j’achève en ce moment-ci de l’user.