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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

la chasse promettait d’être heureuse. C’était une vraie forêt d’autrefois, avec de vieux chênes plus que séculaires et comme on n’en voit plus maintenant que l’on ne plante plus d’arbres, et qu’on n’a pas la patience d’attendre que ceux qui le sont soient poussés ; une forêt héréditaire, plantée par les arrière-grands-pères pour les pères, par les pères pour les petits-fils, avec des allées d’une largeur prodigieuse, l’obélisque surmonté d’une boule, la fontaine de rocaille, la mare de rigueur, et les gardes poudrés à blanc, en culotte de peau jaune et en habit bleu de ciel ; — une de ces forêts touffues et sombres où se détachent admirablement les croupes satinées et blanches des gros chevaux de Wouvermans et les larges pavillons de ces trompes à la Dampierre, que le Parrocel aime à faire rayonner au dos des piqueurs. — Une multitude de queues de chiens pareilles à des croissants ou à des serpes s’arrondissaient en frétillant dans un nuage poussiéreux. — On donna le signal, on découpla les chiens qui tendaient leur corde à s’étrangler, et la chasse commença. — Nous ne décrirons pas très-exactement les détours et les crochets du cerf à travers la forêt ; nous ne savons même pas très au juste si c’était un cerf dix cors, et, quelques recherches que nous ayons faites, nous n’avons pu nous en assurer, — ce qui est véritablement affligeant. — Néanmoins, nous pensons que dans une telle forêt, si antique, si ombreuse, si seigneuriale, il ne devait se trouver que des cerfs dix cors, et nous ne voyons pas pourquoi celui après lequel galopaient, sur des chevaux de différentes couleurs et non passibus æquis, les quatre principaux personnages de cet illustre roman, n’en eût pas été un.

Le cerf courait comme un vrai cerf qu’il était, et une cinquantaine de chiens qu’il avait aux trousses n’étaient pas un médiocre éperon à sa vélocité naturelle. — La