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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/198

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

dit Isnabel à Rosette ; les chevaux ont eu le temps de reprendre haleine.

— Allons ! répondit la jolie amazone, et ils se lancèrent au galop dans une allée transversale assez étroite qui conduisait à la mare ; les deux bêtes couraient de front et en occupaient presque toute la largeur.

Du côté d’Isnabel, un arbre entortillé et noueux avançait une grosse branche comme un bras et semblait montrer le poing aux chevaucheurs. — L’enfant ne la vit pas.

— Prenez garde, cria Rosette, couchez-vous sur la selle ! vous allez être désarçonné.

L’avis était donné trop tard ; la branche frappa Isnabel au milieu du corps. La violence du coup lui fit perdre les étriers, et, son cheval continuant son galop et la branche étant trop forte pour ployer, il se trouva enlevé de la selle et tomba rudement en arrière.

L’enfant resta évanoui sur le coup. — Rosette, fort effrayée, se jeta à bas de sa bête et fut au page qui ne donnait pas signe de vie.

Sa toque s’était détachée, et ses beaux cheveux blonds ruisselaient de toutes parts éparpillés sur le sable. — Ses petites mains ouvertes avaient l’air de mains de cire, tant elles étaient pâles : Rosette s’agenouilla auprès de lui et tâcha de le faire revenir. — Elle n’avait sur elle ni sels, ni flacon, et son embarras était grand. — Enfin elle avisa une ornière assez profonde où l’eau de pluie s’était amassée et clarifiée ; elle y trempa ses doigts, au grand effroi d’une petite grenouille qui était la naïade de cette onde, et elle en secoua quelques gouttes sur les tempes bleuâtres du jeune page. — Il ne parut pas les sentir, et les perles d’eau roulaient au long de ses joues blanches comme les larmes d’une sylphide au long d’une feuille de lis. Rosette, pensant que ses ha-