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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Les sons mélodieux de la viole de sainte Cécile, que les anges écoutent avec ravissement, sont rauques et discordants en comparaison des cadences perlées qui s’envolent de ta bouche de rubis : les Grâces jeunes et souriantes dansent autour de toi une ronde perpétuelle ; les oiseaux, lorsque tu passes dans les bois, inclinent en gazouillant leur petite tête panachée pour te mieux voir, et te sifflent leurs plus jolis refrains ; la lune amoureuse se lève de meilleure heure pour te baiser de ses pâles lèvres d’argent, car elle a abandonné son berger pour toi ; le vent se garde d’effacer sur le sable la délicate empreinte de ton adorable pied ; la fontaine, quand tu t’y penches, se fait plus unie que le cristal, de peur de rider et de déformer la réflexion de ton visage céleste ; les pudiques violettes elles-mêmes t’ouvrent leur petit cœur et font mille coquetteries devant toi ; la fraise jalouse se pique d’émulation et tâche d’égaler le divin incarnat de ta bouche ; l’imperceptible moucheron bourdonne joyeusement et t’applaudit en battant des ailes : — toute la nature t’aime et t’admire, ô toi, sa plus belle œuvre !

Ah ! je vis maintenant ; — jusqu’à présent je n’avais été qu’un mort : me voilà débarrassé du linceul, et je tends hors de la fosse mes deux maigres mains vers le soleil ; ma couleur bleue de spectre m’a quitté. Mon sang circule rapidement dans mes veines. L’effrayant silence qui régnait autour de moi est rompu à la fin. La voûte opaque et noire qui me pesait sur le front s’est illuminée. Mille voix mystérieuses me chuchotent à l’oreille ; de charmantes étoiles scintillent au-dessus de moi, et sablent de leurs paillettes d’or les sinuosités de mon chemin ; les marguerites me rient doucement, et les clochettes murmurent mon nom avec leur petite langue tortillée : je comprends une multitude de cho-