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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/236

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

C’était par un beau clair de lune, t’en souviens-tu ? nous nous promenions ensemble tout au fond du jardin, dans cette allée triste et peu fréquentée, terminée d’un côté par une statue de Faune jouant de la flûte, qui n’a plus de nez et dont tout le corps est couvert d’une lèpre épaisse de mousse noirâtre, et de l’autre côté par une perspective feinte, dessinée sur le mur et à moitié effacée par la pluie. — À travers le feuillage encore rare de la charmille, on voyait par places les étoiles étinceler et s’arrondir la serpe d’argent. Une odeur de jeunes pousses et de plantes nouvelles nous arrivait du parterre avec les souffles languissants d’une petite brise ; un oiseau caché sifflait un air langoureux et bizarre ; nous, comme de vraies jeunes filles, nous causions d’amour, de galants, de mariage, du beau cavalier que nous avions vu à la messe ; nous mettions en commun le peu de notions du monde et des choses que nous pouvions avoir ; nous retournions de cent manières une phrase que nous avions entendue par hasard et dont la signification nous semblait obscure et singulière ; nous nous faisions mille de ces questions saugrenues que la plus parfaite innocence peut seule imaginer. — Que de poësie primitive, que d’adorables sottises dans ces furtifs entretiens de deux petites niaises sorties la veille de pension !

Toi, tu voulais pour amant un jeune homme hardi et fier, avec des moustaches et des cheveux noirs, de grands éperons, de grandes plumes, une grande épée, une espèce de matamore amoureux, et tu donnais en plein dans l’héroïque et le triomphant : tu ne rêvais que duels et escalades, dévoûment miraculeux, et tu aurais volontiers jeté ton gant dans la fosse aux lions pour que ton Esplandian l’y allât chercher : cela était fort comique de voir une petite fille comme tu l’étais alors, toute