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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Je me rappelais complaisamment mille petits détails dont l’enfantine naïveté me faisait venir sur les lèvres un sourire d’indulgence un peu moqueuse quelquefois, comme celui d’un jeune libertin qui écouterait les confidences arcadiques et pastorales d’un écolier de troisième ; et, au moment où je m’en détachais pour toujours, toutes mes puérilités de petite fille et de jeune fille accouraient sur le bord du chemin en me faisant mille signes d’amitié et m’envoyant des baisers du bout de leurs doigts blancs et effilés.

Je piquai mon cheval pour me dérober à ces énervantes émotions ; les arbres filaient rapidement à droite et à gauche ; mais l’essaim folâtre, plus bourdonnant qu’une ruche d’abeilles, se mit à courir dans les allées latérales et à m’appeler : — Madeleine ! — Madeleine !

Je donnai sur le cou de ma bête un grand coup de cravache qui la fit redoubler de vitesse. Mes cheveux se tenaient presque droits derrière ma tête, mon manteau était horizontal, comme si des plis eussent été sculptés dans la pierre, tant ma course était rapide ; je regardai une fois en arrière, et je vis, comme un petit nuage blanc bien loin à l’horizon, la poussière que les pieds de mon cheval avaient soulevée.

Je m’arrêtai un peu.

Dans un buisson d’églantier, sur le bord de la route, je vis remuer quelque chose de blanc, et une petite voix claire et douce comme l’argent me vint frapper l’oreille : — Madeleine, Madeleine, où allez-vous si loin, Madeleine ? Je suis votre virginité, ma chère enfant ; c’est pourquoi j’ai une robe blanche, une couronne blanche et une peau blanche. Mais vous, pourquoi avez-vous des bottes, Madeleine ? Il me semblait que vous aviez le pied fort joli. Des bottes et un haut-de-