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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

chausses, et un grand chapeau à plume comme un cavalier qui va à la guerre ! Pourquoi donc cette longue épée qui bat et meurtrit votre cuisse ? Vous avez un singulier équipage, Madeleine, et je ne sais trop si je dois vous accompagner.

— Si tu as peur, ma chère, retourne à la maison, va arroser mes fleurs et soigner mes colombes. Mais en vérité tu as tort, tu serais plus en sûreté sous ces vêtements de bon drap que sous ta gaze et ton lin. Mes bottes empêchent qu’on ne voie si j’ai un joli pied ; cette épée, c’est pour me défendre, et la plume qui s’agite à mon chapeau est pour effaroucher tous les rossignols qui me viendraient chanter à l’oreille de fausses chansons d’amour.

Je continuai ma route : dans les soupirs du vent je crus reconnaître la dernière phrase de la sonate que j’avais apprise pour la fête de mon oncle, et, dans une large rose qui levait sa tête épanouie au-dessus d’un petit mur, le modèle de la grosse rose d’après quoi j’avais fait tant d’aquarelles ; en passant devant une maison, je vis flotter à une fenêtre le fantôme de mes rideaux. Tout mon passé semblait se cramponner après moi pour m’empêcher d’aller en avant et d’arriver à un nouvel avenir.

J’hésitai deux ou trois fois, et je tournai la tête de mon cheval de l’autre côté.

Mais la petite couleuvre bleue de la curiosité me sifflait tout doucement des paroles insidieuses, et me disait : — Marche, marche, Théodore ; l’occasion est bonne pour t’instruire ; si tu n’apprends pas aujourd’hui, tu ne sauras jamais. — Et ton noble cœur, tu le donneras donc au hasard, à la première apparence honnête et passionnée ? — Les hommes nous cachent des secrets bien extraordinaires, Théodore !