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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Je repris le galop.

Le haut-de-chausses était bien sur mon corps et non dans mon esprit ; j’éprouvai un certain malaise et comme un frisson de peur, pour nommer la chose par son nom, à un endroit sombre de la forêt ; un coup de fusil tiré par un braconnier manqua me faire évanouir. Si c’eût été un voleur, les pistolets placés dans mes fontes et ma formidable épée ne m’eussent pas été à coup sûr d’un grand secours. Mais peu à peu je m’aguerris, et je n’y fis plus attention.

Le soleil descendait lentement sous l’horizon comme le lustre d’un théâtre qu’on abaisse quand la représentation est finie. Des lapins et des faisans traversaient la route de temps à autre ; les ombres s’allongeaient, et tous les lointains se nuançaient de rougeurs. Certaines portions du ciel étaient d’un lilas très-doux et très-fondu, d’autres tenaient du citron et de l’orange ; les oiseaux de nuit commençaient à chanter, et il se dégageait du bois une foule de bruits singuliers : le peu de lumière qu’il y avait encore s’éteignit, et l’obscurité devint complète, augmentée qu’elle était par l’ombre portée des arbres. Moi, qui n’étais jamais sortie seule de nuit, me trouver à huit heures du soir dans une grande forêt ! Conçois-tu cela, ma Graciosa, moi qui me mourais déjà de peur au bout du jardin ? L’effroi me reprit de plus belle, et le cœur me battit terriblement ; ce fut, je t’avoue, avec une grande satisfaction que je vis poindre et scintiller au revers d’un coteau les lumières de la ville où j’allais. Dès que je vis ces points brillants semblables à de petites étoiles terrestres, ma frayeur se passa complétement. Il me semblait que ces lueurs indifférentes étaient les yeux ouverts d’autant d’amis qui veillaient pour moi.

Mon cheval n’était pas moins content que moi, et,