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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

pensée la plus secrète et la plus obscure de votre cœur se révèle et s’illumine.

Ô jeune fils du brave chevalier Rowland des Bois, tant maltraité du sort ! je ne puis m’empêcher d’être jaloux de toi ; tu as encore un serviteur fidèle, le bon Adam, dont la vieillesse est si verte sous la neige de ses cheveux. — Tu es banni, mais au moins tu l’es après avoir lutté et triomphé ; ton méchant frère t’enlève tout ton bien, mais Rosalinde te donne la chaîne de son cou ; tu es pauvre, mais tu es aimé ; tu quittes ta patrie, mais la fille de ton persécuteur te suit au delà des mers.

Les noires Ardennes ouvrent, pour te recevoir et te cacher, leurs grands bras de feuillage ; la bonne forêt, pour te coucher, amasse au fond de ses grottes sa mousse la plus soyeuse ; elle incline ses arceaux sur ton front, afin de te garantir de la pluie et du soleil ; elle te plaint avec les larmes de ses sources et les soupirs de ses faons et de ses daims qui brament ; elle fait de ses rochers de complaisants pupitres pour tes épîtres amoureuses ; elle te prête les épines de ses buissons pour les suspendre, et ordonne à l’écorce de satin de ses trembles de céder à la pointe de ton stylet quand tu veux y graver le chiffre de Rosalinde.

Si l’on pouvait, jeune Orlando, avoir comme toi une grande forêt ombreuse pour se retirer et s’isoler dans sa peine, et si, au détour d’une allée, on rencontrait celle que l’on cherche, reconnaissable, quoique déguisée ! — Mais, hélas ! le monde de l’âme n’a pas d’Ardennes verdoyantes, et ce n’est que dans le parterre de poésie que s’épanouissent ces petites fleurs capricieuses et sauvages dont le parfum fait tout oublier. Nous avons beau verser des larmes, elles ne forment pas de ces belles cascades argentines ; nous avons beau soupirer,