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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

aucun écho complaisant ne se donne la peine de nous renvoyer nos plaintes ornées d’assonances et de concetti. — C’est en vain que nous accrochons des sonnets aux piquants de toutes les ronces, jamais Rosalinde ne les ramasse, et c’est gratuitement que nous entaillons l’écorce des arbres de chiffres amoureux.

Oiseaux du ciel, prêtez-moi chacun une plume, l’hirondelle comme l’aigle, le colibri comme l’oiseau roc, afin que je m’en fasse une paire d’ailes pour voler haut et vite par des régions inconnues, où je ne retrouve rien qui rappelle à mon souvenir la cité des vivants, où je puisse oublier que je suis moi, et vivre d’une vie étrange et nouvelle, plus loin que l’Amérique, plus loin que l’Afrique, plus loin que l’Asie, plus loin que la dernière île du monde, par l’océan de glace, au delà du pôle où tremble l’aurore boréale, dans l’impalpable royaume où s’envolent les divines créations des poëtes et les types de la suprême beauté.

Comment supporter les conversations ordinaires dans les cercles et les salons, quand on t’a entendu parler, étincelant Mercutio, dont chaque phrase éclate en pluie d’or et d’argent, comme une bombe d’artifices sous un ciel semé d’étoiles ? Pâle Desdémona, quel plaisir veux-tu que l’on prenne, après la romance du Saule, à aucune musique terrestre ? Quelles femmes ne semblent pas laides à côté de vos Vénus, sculpteurs antiques, poëtes aux strophes de marbre ?

Ah ! malgré l’étreinte furieuse dont j’ai voulu enlacer le monde matériel au défaut de l’autre, je sens que je suis mal né, que la vie n’est pas faite pour moi, et qu’elle me repousse ; je ne puis me mêler à rien : quelque chemin que je suive, je me fourvoie ; l’allée unie, le sentier rocailleux me conduisent également à l’abîme. Si je veux prendre mon essor, l’air se condense