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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/291

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

de mon œuvre me prend tout d’abord et m’empêche de continuer.

Ah ! lorsque je compare aux doux sourires de ma pensée la laide moue qu’elle fait sur la toile ou le papier, lorsque je vois passer une affreuse chauve-souris à la place du beau rêve qui ouvrait au sein de mes nuits ses longues ailes de lumière, un chardon pousser sur l’idée d’une rose, et que j’entends braire un âne où j’attendais les plus suaves mélodies du rossignol, je suis si horriblement désappointé, si en colère moi-même, si furieux de mon impuissance, qu’il me prend des résolutions de ne plus écrire ni dire un seul mot de ma vie plutôt que de commettre ainsi des crimes de haute trahison contre mes pensées.

Je ne puis même pas parvenir à écrire une lettre comme je le voudrais : je dis souvent tout autre chose ; certaines portions prennent un développement démesuré, d’autres se rapetissent à devenir imperceptibles, et très-souvent l’idée que j’avais à rendre ne s’y trouve pas ou n’y est qu’en post-scriptum.

En commençant à t’écrire, je n’avais certainement pas l’intention de te dire la moitié de ce que j’ai dit. — Je voulais simplement te faire savoir que nous allions jouer la comédie ; mais un mot amène une phrase ; les parenthèses sont grosses d’autres petites parenthèses qui, elles-mêmes, en ont d’autres dans le ventre toutes prêtes à accoucher. Il n’y a pas de raison pour que cela finisse et n’aille jusqu’à deux cents volumes in-folio, — ce qui serait trop assurément.

Dès que je prends la plume, il se fait dans mon cerveau un bourdonnement et un bruissement d’ailes, comme si l’on y lâchait des multitudes de hannetons. Cela se cogne aux parois de mon crâne, et tourne, et descend, et monte avec un tapage horrible ; ce sont