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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/290

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

j’exécute si peu, tout en ayant plus d’idées que certains poëtes que l’on pourrait brûler avec leurs propres œuvres.

J’adore la beauté et je la sens ; je puis la dire aussi bien que peuvent la comprendre les plus amoureux statuaires, — et je ne fais cependant pas de sculptures. La laideur et l’imperfection de l’ébauche me révoltent ; je ne puis attendre que l’œuvre vienne à bien à force de la polir et de la repolir ; si je pouvais me résoudre à laisser certaines choses dans ce que je fais, soit en vers, soit en peinture, je finirais peut-être par faire un poëme ou un tableau qui me rendrait célèbre, et ceux qui m’aiment (s’il y a quelqu’un au monde qui se donne cette peine) ne seraient pas forcés de me croire sur parole, et auraient une réponse victorieuse aux ricanements sardoniques des détracteurs de ce grand génie ignoré qui est moi.

J’en vois beaucoup qui prennent une palette, des pinceaux et couvrent leur toile, sans se soucier autrement de ce que le caprice fait naître au bout de leur brosse, et d’autres qui écrivent cent vers de suite sans faire une rature et sans lever une seule fois les yeux au plafond. — Je les admire toujours eux-mêmes, si quelquefois je n’admire pas leurs productions ; j’envie de tout mon cœur cette charmante intrépidité et cet heureux aveuglement qui les empêchent de voir leurs défauts, même les plus palpables. Aussitôt que j’ai dessiné quelque chose de travers, je le vois sur-le-champ et je m’en préoccupe outre mesure ; et, comme je suis beaucoup plus savant en théorie qu’en pratique, il arrive très-souvent que je ne puis corriger une faute dont j’ai la conscience ; alors je tourne la toile le nez contre le mur, et je n’y reviens jamais.

J’ai si présente l’idée de la perfection, que le dégoût