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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

et de doucement terne qui prédisposait singulièrement à la mélancolie.

Tout en allant, je pensais que l’automne était venu aussi pour moi, et que l’été rayonnant était passé sans retour ; l’arbre de mon âme était peut-être encore plus effeuillé que les arbres des forêts ; à peine restait-il à la plus haute branche une seule petite feuille verte qui se balançait en frissonnant, toute triste de voir ses sœurs la quitter une à une.

Reste sur l’arbre, ô petite feuille couleur d’espérance, retiens-toi à la branche de toute la force de tes nervures et de tes fibres ; ne te laisse pas effrayer par les sifflements du vent, ô bonne petite feuille ! car, lorsque tu m’auras quitté, qui pourra distinguer si je suis un arbre mort ou vivant, et qui empêchera le bûcheron de m’entailler le pied à coups de hache et de faire des fagots avec mes branches ? — Il n’est pas encore le temps où les arbres n’ont plus de feuilles, et le soleil peut encore se débarrasser des langes de brouillard qui l’environnent.

Ce spectacle de la saison mourante me fit beaucoup d’impression. Je pensais que le temps fuyait vite, et que je pourrais mourir sans avoir serré mon idéal sur mon cœur.

En rentrant chez moi, j’ai pris une résolution. — Puisque je ne pouvais me décider à parler, j’ai écrit toute ma destinée sur un carré de papier. — Il est peut-être ridicule d’écrire à quelqu’un qui demeure dans la même maison que vous, que l’on peut voir tous les jours, à toute heure ; mais je n’en suis plus à regarder ce qui est ridicule ou non.

J’ai cacheté ma lettre non sans trembler et sans changer de couleur ; puis, choisissant le moment où Théodore était sorti, je l’ai posée sur le milieu de la