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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

pruderie de petite fille, je ne savais trop quelle contenance faire, et je tâchais qu’il y eût toujours une personne tierce avec nous. — Rosette, au contraire, faisait tout son possible pour se trouver seule avec moi, et elle y réussissait assez souvent, le château étant éloigné de la ville et peu fréquenté de la noblesse des environs. — Cette résistance sourde l’attristait et la surprenait ; — par instants il lui survenait des doutes et des hésitations sur le pouvoir de ses charmes, et, se voyant si peu aimée, elle n’était quelquefois pas loin de croire qu’elle était laide. — Alors elle redoublait de soins et de coquetterie, et quoique son deuil ne lui permît pas d’employer toutes les ressources de la toilette, elle savait cependant l’orner et le varier de manière à être chaque jour deux ou trois fois plus charmante, — ce qui n’est pas peu dire. — Elle essaya de tout : elle fut enjouée, mélancolique, tendre, passionnée, prévenante, coquette, minaudière même ; elle mit, les uns après les autres, tous ces adorables masques qui vont si bien aux femmes, qu’on ne sait plus si ce sont de véritables masques ou leurs figures réelles ; — elle revêtit successivement huit ou dix individualités contrastées entre elles, pour voir laquelle me plairait et s’y fixer. À elle seule, elle me fit un sérail complet où je n’avais qu’à jeter le mouchoir ; mais rien ne lui réussit, bien entendu.

Le peu de succès de tous ces stratagèmes la fit tomber dans une stupeur profonde. — En effet, elle aurait fait tourner la cervelle de Nestor et fait fondre la glace du chaste Hippolyte lui-même, — et je ne paraissais rien moins que Nestor et Hippolyte : je suis jeune, et j’avais la mine hautaine et décidée, le propos hardi, et, partout ailleurs qu’en tête-à-tête, la contenance fort délibérée.