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MADEMOISELLE DE MAUPIN.
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inépuisables, tous les trésors d’une belle nature répandus sans réserve. Elle n’avait point de ces petitesses et de ces mesquineries que l’on voit à presque toutes les femmes, même les mieux douées ; elle ne cherchait pas de déguisement, et me laissait voir tranquillement toute l’étendue de sa passion. Son amour-propre ne se révolta pas un instant de ce que je ne répondais pas à tant d’avances, car l’orgueil sort du cœur le jour où l’amour y entre ; et si jamais quelqu’un a été véritablement aimé, c’est moi par Rosette. — Elle souffrait, mais sans plainte et sans aigreur, et elle n’attribuait qu’à elle le peu de succès de ses tentatives. — Cependant sa pâleur augmentait chaque jour, et les lis avaient livré aux roses, sur le champ de bataille de ses joues, un grand combat où ces dernières avaient été définitivement mises en déroute ; cela me désolait, mais, en bonne conscience, j’y pouvais moins que personne. — Plus je lui parlais avec douceur et affection, plus j’avais avec elle des manières caressantes, plus j’enfonçais dans son cœur la flèche barbelée de l’amour impossible. — Pour la consoler aujourd’hui, je lui préparais un désespoir futur bien plus grand ; mes remèdes empoisonnaient sa plaie tout en paraissant l’assoupir. — Je me repentais en quelque sorte de toutes les choses agréables que j’avais pu lui dire, et j’aurais voulu, à cause de l’extrême amitié que j’avais pour elle, trouver les moyens de m’en faire haïr. On ne peut porter le désintéressement plus loin, car j’en eusse été à coup sûr très-fâchée ; — mais cela eût mieux valu.

J’ai essayé, à deux ou trois reprises de lui dire quelques duretés, je me suis bien vite remise au madrigal, car je crains moins encore son sourire que ses larmes. — En ces occasions-là, quoique la loyauté de l’intention