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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

m’absolve pleinement dans ma conscience, je suis plus touchée qu’il ne le faudrait, et j’éprouve quelque chose qui n’est pas loin d’être un remords. — Une larme ne peut guère être séchée que par un baiser, et l’on ne peut laisser décemment cet office à un mouchoir, fût-il de la plus fine batiste du monde ; — je défais ce que j’ai fait, la larme est bien vite oubliée, plus vite que le baiser, et il s’ensuit toujours pour moi quelque redoublement d’embarras.

Rosette, qui voit que je vais lui échapper, se rattache obstinément et misérablement aux restes de son espérance, et ma position se complique de plus en plus. — La sensation étrange que j’avais éprouvée dans le petit ermitage, et le désordre inconcevable où m’avait jetée l’ardeur des caresses de ma belle amoureuse, se sont renouvelés plusieurs fois pour moi, quoique moins violents ; et souvent, assise auprès de Rosette, sa main dans ma main, l’entendant me parler avec son doux roucoulement, je m’imagine que je suis un homme, comme elle le croit, et que, si je ne réponds pas à son amour, c’est pure cruauté de ma part.

Un soir je ne sais par quel hasard, je me trouvai seule dans la chambre verte avec la vieille dame ; — elle avait en main quelque ouvrage de tapisserie, car, malgré ses soixante-huit ans, elle ne restait jamais oisive, voulant, comme elle le disait, achever, avant de mourir, un meuble qu’elle avait commencé et auquel elle travaillait depuis déjà fort longtemps. Se sentant un peu fatiguée, elle posa son ouvrage et se renversa dans son grand fauteuil : elle me regardait très-attentivement, et ses yeux gris pétillaient à travers ses lunettes avec une vivacité étrange ; elle passa deux ou trois fois sa main sèche sur son front ridé, et parut profondément réfléchir. — Le souvenir des temps qui