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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Aphrodite sortant du sein de la mer ? où avez-vous laissé votre char de pierreries attelé de quatre chevaux de flamme ? Qu’avez-vous fait de votre conque de nacre et de vos dauphins à la queue azurée ? — quelle nymphe amoureuse a fondu son corps dans le vôtre au milieu d’un baiser, ô beau jeune homme, plus charmant que Cyparisse et qu’Adonis, plus adorable que toutes les femmes !

Mais vous êtes une femme, nous ne sommes plus au temps des métamorphoses ; — Adonis et Hermaphrodite sont morts, — et ce n’est plus par un homme qu’un pareil degré de beauté pourrait être atteint ; — car, depuis que les héros et les dieux ne sont plus, vous seules conservez dans vos corps de marbre, comme dans un temple grec, le précieux don de la forme anathématisée par Christ, et faites voir que la terre n’a rien à envier au ciel ; vous représentez dignement la première divinité du monde, la plus pure symbolisation de l’essence éternelle, — la beauté.

Dès que je vous ai vue, quelque chose s’est déchiré en moi, un voile est tombé, une porte s’est ouverte, je me suis senti intérieurement inondé par des vagues de lumière ; j’ai compris que ma vie était devant moi, et que j’étais enfin arrivé au carrefour décisif. — Les parties obscures et perdues de la figure à moitié rayonnante que je cherchais à démêler dans l’ombre se sont illuminées subitement ; les teintes rembrunies qui noyaient le fond du tableau se sont doucement éclairées ; une tendre lueur rosée a glissé sur l’outremer un peu verdi des lointains ; les arbres qui ne formaient que des silhouettes confuses ont commencé à se découper d’une manière plus nette ; les fleurs chargées de rosée ont piqué de points brillants la sourde verdure du gazon. J’ai vu le bouvreuil avec sa poitrine écarlate au bout