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MADEMOISELLE DE MAUPIN.
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sentier que je connaissais. Les branches d’arbres, toutes chargées de rosée, me fouettaient et me mouillaient la figure : on eût dit que les vieux arbres étendaient les bras pour me retenir et me garder à l’amour de leur châtelaine. — Si j’avais été dans une autre disposition d’esprit, ou quelque peu superstitieuse, il n’aurait tenu qu’à moi de croire que c’étaient autant de fantômes qui voulaient me saisir et qui me montraient le poing.

Mais réellement je n’avais aucune idée, ni celle-là ni une autre ; une stupeur de plomb si forte, que j’en avais à peine la conscience, me pesait sur la cervelle, comme un casque trop étroit ; seulement il me semblait bien que j’avais tué quelqu’un par là et que c’était pour cela que je m’en allais. — J’avais, au reste, horriblement envie de dormir, soit à cause de l’heure avancée, soit que la violence des émotions de cette soirée eût eu une réaction physique et m’eût fatiguée corporellement.

J’arrivai à une petite poterne qui s’ouvrait sur les champs par un secret que Rosette m’avait montré dans nos promenades. Je descendis de cheval, je touchai le bouton et je poussai la porte : je me remis en selle après avoir fait passer mon cheval, et je lui fis prendre le galop jusqu’à ce que j’eusse rejoint la grand’route de C***, où j’arrivai à la petite pointe du jour.

Ceci est l’histoire très-fidèle et très-circonstanciée de ma première bonne fortune et de mon premier duel.


XV


Il était cinq heures du matin lorsque j’entrai dans la ville. — Les maisons commençaient à mettre le nez aux fenêtres ; les braves indigènes montraient derrière leur carreau leur bénigne figure, surmontée d’un pyramidal bonnet de nuit. — Au pas de mon cheval, dont les fers