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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/401

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

et sa gorge naissante faisait de si charmantes promesses, qu’aucune gorge plus formée n’eût pu soutenir la comparaison. — Elle avait encore toutes les grâces de l’enfant et déjà tout le charme de la femme ; elle était dans cette nuance adorable de transition de la petite fille à la jeune fille : nuance fugitive, insaisissable, époque délicieuse où la beauté est pleine d’espérance, et où chaque jour, au lieu d’enlever quelque chose à vos amours, y ajoute de nouvelles perfections.

Son costume lui allait on ne peut mieux. Il lui donnait un petit air mutin très-curieux et très récréatif, et qui la fit rire aux éclats quand je lui présentai le miroir pour qu’elle jugeât de l’effet de sa toilette. Je lui fis ensuite manger quelques biscuits trempés dans du vin d’Espagne, afin de lui donner du courage et de lui faire mieux supporter la fatigue de la route.

Les chevaux nous attendaient tout sellés dans la cour ; — elle monta assez délibérément sur le sien, j’enfourchai l’autre, et nous partîmes. — La nuit était complétement tombée, et de rares lumières, qui s’éteignaient d’instant en instant, faisaient voir que l’honnête ville de C*** était occupée vertueusement comme doit le faire toute ville de province au coup de neuf heures.

Nous ne pouvions pas aller très-vite, car Ninon n’était pas meilleure écuyère qu’il ne le fallait, et quand son cheval prenait le trot, elle se cramponnait de toutes ses forces après la crinière. — Cependant, le lendemain matin, nous étions assez loin pour que l’on ne pût nous rattraper, à moins de faire une diligence extrême ; mais l’on ne nous poursuivit pas, ou du moins, si on le fit, ce fut dans une direction opposée à celle que nous avions suivie.

Je m’attachai singulièrement à la petite belle. — Je ne t’avais plus avec moi, ma chère Graciosa, et j’éprouvais un besoin immense d’aimer quelqu’un ou quelque