Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
396
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

chose, d’avoir avec moi soit un chien, soit un enfant à caresser familièrement. — Ninon était cela pour moi ; — elle couchait dans mon lit, et passait pour dormir ses petits bras autour de mon corps ; — elle se croyait très-sérieusement ma maîtresse, et ne doutait pas que je ne fusse un homme ; sa grande jeunesse et son extrême innocence l’entretenaient dans cette erreur que j’avais garde de dissiper. — Les baisers que je lui donnais complétaient parfaitement son illusion, car son idée n’allait pas encore au delà, et ses désirs ne parlaient pas assez haut pour lui faire soupçonner autre chose. Au reste, elle ne se trompait qu’à demi.

Et, réellement, il y avait entre elle et moi la même différence qu’il y a entre moi et les hommes. — Elle était si diaphane, si svelte, si légère, d’une nature si délicate et si choisie, qu’elle est une femme même pour moi qui suis femme, et qui ai l’air d’un Hercule à côté d’elle. Je suis grande et brune, elle est petite et blonde ; ses traits sont tellement doux, qu’ils font paraître les miens presque durs et austères, et sa voix est un gazouillement si mélodieux, que ma voix semble dure près de la sienne. Un homme qui l’aurait la briserait en morceaux, et j’ai toujours peur que le vent ne l’emporte quelque beau matin. — Je la voudrais enfermer dans une boîte de coton et la porter suspendue à mon cou. — Tu ne te figures pas, ma bonne amie, combien elle a de grâce et d’esprit, de chatteries délicieuses, de mignardises enfantines, de petites façons et de gentilles manières. C’est bien la plus adorable créature qui soit, et il eût été vraiment dommage qu’elle fût restée avec son indigne mère.

Je mettais une joie maligne à dérober ainsi ce trésor à la rapacité des hommes. J’étais le griffon qui empêchait d’en approcher, et, si je n’en jouissais pas moi-