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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/425

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

suis pas de celles dont on se dégoûte. Mon Dieu ! de moi comme des autres.

« Cela durerait six mois, deux ans, dix ans même, si vous voulez, mais il faut toujours que tout finisse. — Vous me garderiez par une espèce de sentiment de convenance, ou parce que vous n’auriez pas le courage de me signifier mon congé. À quoi bon attendre d’en venir là ?

« Et puis, ce serait peut-être moi qui cesserais de vous aimer. Je vous ai trouvé charmant ; peut-être, à force de vous voir, vous eussé-je trouvé détestable. — Pardonnez-moi cette supposition. — En vivant avec vous dans une grande intimité, j’aurais sans doute eu l’occasion de vous voir en bonnet de coton ou dans quelque situation domestique ridicule et bouffonne. — Vous auriez nécessairement perdu ce côté romanesque et mystérieux qui me séduit sur toutes choses, et votre caractère, mieux compris, ne m’eût plus paru si étrange. Je me serais moins occupée de vous en vous ayant auprès de moi, à peu près comme on fait de ces livres qu’on n’ouvre jamais parce qu’on les a dans sa bibliothèque. — Votre nez ou votre esprit ne m’aurait plus semblé à beaucoup près aussi bien tourné ; je me serais aperçue que votre habit vous allait mal et que vos bas étaient mal tirés ; j’aurais eu mille déceptions de ce genre qui m’auraient singulièrement fait souffrir, et à la fin je me serais arrêtée à ceci : — que décidément vous n’aviez ni cœur ni âme, et que j’étais destinée à n’être pas comprise en amour.

« Vous m’adorez et je vous le rends. Vous n’avez pas le plus léger reproche à me faire, et je n’ai pas le moins du monde à me plaindre de vous. Je vous ai été parfaitement fidèle tout le temps de nos amours. Je ne vous ai trompé en rien. — Je n’avais ni fausse gorge ni fausse vertu ; vous avez eu cette extrême bonté de dire