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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

qui a exposé sa vie pour elle ? — aucune ; — et la reconnaissance est un chemin de traverse qui mène bien vite à l’amour.

— Tu conviendras au moins que, lorsque je donne dans le romanesque, ce n’est pas à demi, et que je suis aussi fou qu’il est possible de l’être. C’est toujours cela, car rien au monde n’est plus maussade qu’une folie raisonnable. Tu conviendras aussi que, lorsque j’écris des lettres, ce sont plutôt des volumes que de simples billets. En tout j’aime ce qui dépasse les bornes ordinaires. — C’est pourquoi je t’aime. Ne te moque pas trop de toutes les niaiseries que je t’ai griffonnées : je quitte la plume pour les mettre en action ; car j’en reviens toujours à mon refrain : — je veux avoir une maîtresse. J’ignore si ce sera la dame du parc, la beauté du balcon, mais je te dis adieu pour me mettre en quête. Ma résolution est prise. Dût celle que je cherche se cacher au fond du royaume de Cathay ou de Samarcande, je la saurai bien dénicher. Je te ferai savoir le succès de mon entreprise ou sa non-réussite. J’espère que ce sera le succès : fais des vœux pour moi, mon cher ami. Quant à moi, je m’habille de mon plus bel habit, et sors de la maison bien décidé à n’y rentrer qu’avec une maîtresse selon mes idées. — J’ai assez rêvé ; à l’action maintenant.

P.-S. Donne-moi donc des nouvelles du petit D*** ; qu’est-il devenu ? personne ici n’en sait rien ; et fais bien mes compliments à ton digne frère et à toute la famille.


II


Eh bien ! mon ami, je suis rentré à la maison, je n’ai pas été au Cathay, à Cachemire ni à Samarcande ; — mais il est juste de dire que je n’ai pas plus de maîtresse