Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

que jamais. — Je m’étais pourtant pris la main à moi-même, et juré mon grand jurement que j’irais au bout du monde : je n’ai pas été seulement au bout de la ville. Je ne sais comment je m’y prends, je n’ai jamais pu tenir parole à personne, pas même à moi : il faut que le diable s’en mêle. Si je dis : J’irai là demain, il est sûr que je resterai ; si je me propose d’aller au cabaret, je vais à l’église ; si je veux aller à l’église, les chemins s’embrouillent sous mes pieds comme des écheveaux de fil, et je me trouve dans un endroit tout différent. Je jeûne quand j’ai décidé de faire une orgie, et ainsi de suite. Aussi je crois que ce qui m’empêche d’avoir une maîtresse, c’est que j’ai résolu d’en avoir une.

Il faut que je te raconte mon expédition de point en point : cela vaut bien les honneurs de la narration. J’avais passé ce jour-là deux grandes heures au moins à ma toilette. J’avais fait peigner et friser mes cheveux, retrousser et cirer le peu que j’ai de moustaches, et, l’émotion du désir animant un peu la pâleur ordinaire de ma figure, je n’étais réellement pas trop mal. Enfin, après m’être attentivement regardé au miroir sous des jours différents pour voir si j’étais assez beau et si j’avais la mine assez galante, je suis sorti résolûment de la maison le front haut, le menton relevé, le regard direct, une main sur la hanche, faisant sonner les talons de mes bottes comme un anspessade, coudoyant les bourgeois et ayant l’air parfaitement vainqueur et triomphal.

J’étais comme un autre Jason allant à la conquête de la toison d’or. — Mais, hélas ! Jason a été plus heureux que moi : outre la conquête de la toison, il a fait en même temps la conquête d’une belle princesse, et moi, je n’ai ni princesse ni toison.

Je m’en allais donc par les rues, avisant toutes les